Merci ^^
« Hannah. Ouvre-moi, s’il te plaît. Je voudrais te parler. » Quémanda une voix dans un souffle timide. Elle entendit ses ongles cognant doucement contre la porte de bois, mais elle n’y prêta aucune attention, allongée sur son lit. La dénommée Hannah se couvrit la tête d’un oreiller pour étouffer les appels de Tiffany, celle qui mendiait la permission de pénétrer dans le seul coin de ce fichu manoir qu’elle n’avait pas à partager. À cette lointaine époque, elle était âgée de quatorze ans à peine, fêtés le jour même du remariage de son père avec Mrs. Veuve Clarkson. Désormais, Hannah était condamnée à vivre avec elle et sa fille, une blondasse répondant au prénom de Tiffany. Le nom de son joaillier préféré. Elle n’ouvrirait pas. Vêtue d’un short et d’un débardeur noir, la jeune fille se recroquevilla sur elle-même en serrant l’oreiller dont elle s’était servie comme casque, quelques instants plus tôt, puis se tourna face au mur de sa chambre. La fenêtre, grande ouverte, laissait entrer un vent frais agréable en ce mois d’été, annonciateur de bonne humeur et de joie… mais pas pour elle. Hannah pleurait, maintenant, et elle ne s’en était pas rendu compte. Elle mordit l’oreiller de plume, d’un geste brusque, pour calmer ses nerfs.
« Ecoute, Hannah, je veux simplement te parler… Si tu ne m’ouvres pas, je te parlerais quand même, quitte à rester sur le pas de la porte ! Tu m’entends, et je le sais. C’est dur, douloureux même, Hannah, mais je suis là… » Continua Tiffany, infatigable en tambourinant doucement sur la porte. Elle ne répondait toujours pas, roulée en boule dans un ramassis de draps et couettes, et attendait le moment où la porte s’enfoncerait ou que l’autre ne l’assomme de son baratin. Pas grave : elle avait besoin de dormir.
« Tu sais… Ma mère n’est pas si froide, elle est plutôt cool. Normal qu’elle te snobe un peu… Je… Enfin, elle aime beaucoup ton père et t’apprécie également… Et euh… Tu es si distante… On pourrait faire connaissance, se comporter comme de vraies sœurs le temps d’une heure, non ? Hannah ? Hannah, tu m’entends ? » L’interpellée sanglotait toujours, secouée de spasmes incontrôlables, incapable d’en placer enfin une. Elle gardait ce silence d’or.
« LAISSE-MOI, BORDEL ! » hurla-t-elle enfin, tremblante de rage.
« Il n’y avait qu’à le demander… » Siffla la jeune fille blonde aux yeux océan, s’éloignant le nez en l’air dans les corridors du manoir à grandes enjambées.
Hannah, après quelques instants de silence, se releva enfin. Elle posa ses pieds sur le parquet de sa chambre, plus ou moins glacée, puis leva son regard noisette vers son balcon au style gothique. Le vent agitait les branches des arbres, faisait vibrer les fleurs du parc, et troublait la surface limpide et calme de l’eau qui remplissait la piscine. Elle ferma un instant les yeux, humant l’air de ce nouvel été, mais aucun sourire ne naquit sur ses lèvres. Rien. Elle n’en avait pas le cœur, ni la force. Hannah fit quelques pas maladroits vers sa penderie où l’attendait des centaines de vêtements, tout genre et tout âge. Elle opta pour un slim et un paletot blanc, les accompagnants d’une paire de ballerines rouges puis noua son épaisse chevelure brune en une queue de cheval à l’arrache. Prête pour affronter « sa famille », l’élégante jeune fille déboula dans le couloir désert. Elle entendait de la musique. Du classique. Debussy. Son père devait en écouter, seul dans son bureau entrain de fumer un cigare aux feuilles de cacao. Hannah sourit légèrement puis descendit les escaliers de marbre le plus doucement du monde, pour ne pas attirer l’attention sur sa miraculeuse présence hors de son alcôve, et s’arrêta près du piano à queue, dans le hall. Ses doigts s’apposèrent sur la surface vernie de l’instrument, glissant progressivement vers les touches d’ivoires. Une partition était posée sur le piano, près d’une photo représentant une belle jeune femme ressemblant en tout point à Hannah. Sa défunte mère… Crystal. Elle était morte il y a deux ans, d’un cancer signalé trop tard. Elle se souvient encore de ces mots fatals qui étaient tombés sur la famille Meltzer… Le médicomage avait annoncé qu’il ne resterait plus que deux mois à vivre pour Crystal. Cette dernière a disparu du globe terrestre trois semaines plus tard, emportée le jour de son anniversaire et accessoirement, le premier jour de printemps. Hannah l’avait vue de ses propres yeux… Luttant contre la mort, seule, sa mère restera à jamais son modèle de courage. Elle avait juste eu le temps de dire un dernier mot à tout le monde, terrassée par l’agonie, et expira en souriant. Le père d’Hannah ne s’en remit pas. Elle-même également. Il trouva quand même chaussure à son pied, il y a cela quelques mois. Une veuve aussi, une jeune veuve de Sang Pur, riche et cherchant une nouvelle fois l’âme sœur… À vomir. Hannah supportait très mal cette femme qui avait bouleversé leur vie bien rangée. Mrs. Clarkson. Très jolie, svelte, blondasse, mais pas trop greluche, elle avait dans ses bagages une fille de l’âge d’Hannah. Elle s’installa au piano, hélas elle eut à peine le temps de s’adonner à ce plaisir qu’était joué de la musique. Elle entra. Aussi blonde que sa fille, un sourire faux figé sur les lèvres, la nouvelle Mrs. Meltzer s’arrêta à son niveau.
« Je ne savais pas que tu jouais du piano, darling ! Tu me montres ? » Couina-t-elle.
« Hm. Ouais mais non. »L’héritière des Meltzer se leva et prit ses jambes à son cou, pour ne pas avoir à subir les bavardages futiles de sa belle-mère. Elle avait toujours été comme ça, la petite Hannah, une fille froide et distante qui refusait à quiconque de trop marcher sur ses pieds. Du moins, depuis la disparition de sa chère maman. Elle avait compris qu’il faut faire de tout dans un monde, et que la fortune ou le remariage de son père ne l’aiderait en rien à calmer cette douleur fugace qui accaparait son cœur, chaque maudite heure de la journée. Hannah connaissait des instants où la seule envie qui la tenaillait était celle de courir, loin, pour ne pas se retourner. Malheureusement, si elle avait changé quelques aspects de sa personnalité au cours de ces dernières années, elle n’en restait pas moins candide, candide d’un bonheur qui pourrait arriver tôt ou tard. Naïve de croire qu’un jour, elle retrouverait le sourire de par celui d’une personne. Elle était idiote de penser que l’amour ou une puissante amitié la sauverait. Ce qui faisait également sa sensibilité à fleur de peau. Une rupture, une dispute, et elle pleurait à n’en plus pouvoir. Hannah s’était maintenant assise près de la piscine, le menton calé contre ses genoux. Elle observait cette eau limpide, ondulant légèrement dû au vent, où quelques feuilles s’étaient logées. En l’espace de quelques minutes, elle ferma les yeux, et deux fantômes surgirent. Comme dans un rêve, ils évoluaient et parlaient, autour d’une table. Sur la piscine. Une femme à la beauté pouvant défier celle d’Hélène de Troie riait aux remarques d’une petite fille ressemblant à une poupée de porcelaine intrépide.
« Regarde, maman, je vais te dessiner un beau bateau. » Souriait la petite fille.
« Tu savais que les bateaux portaient un nom ? Comment l’appelleras-tu le tien ? » Demanda paisiblement la jeune femme. La fillette sembla réfléchir, puis son visage s’illumina.
« Je l’appellerais le bateau à maman ! Comme ça, il sera à nous, et si tu es trop loin, tu viendrais me voir avec ce bateau ! » Ce souvenir était douloureux. Bateau de la mort. Crystal viendrait-elle lui rendre visite, un beau jour, avec ce paquebot de luxe qu’elle avait mis des heures à mettre sur papier ? Le dessin était aujourd’hui dans un tiroir de sa table de chevet, pas près de sortir. Elle releva la tête, tendant la main vers l’allégorie qui disparut dans un sourire. Ses doigts se refermèrent sur le vide, tandis qu’une main se posait sur son épaule. Son père était là, au moins. Hannah soupira.
« Seth ! Je te dis que c’est fini ! » Puis, dans l’histoire, il y a également Poudlard. Un détail qu’il ne faut surtout pas négliger, étant donné que c’est à cause de certaines anecdotes produites en ces hauts lieux que Hannah changea. En sixième année, elle sortit avec Seth Wiessler. Rien de sérieux, mais elle y croyait, à leur histoire. Ce dernier ne pensait qu’au lit, sans doute, et ne s’est jamais montré vraiment amoureux d’elle. Elle mit fin elle-même à cette amourette qui la fit énormément souffrir. Nous parlons bien d’Hannah M. la Serpentard garce et incontrôlable. N’oublions pas qu’elle est quand même fragile, que tout cela n’est qu’un masque pour croire et donner l’illusion que tout baigne dans sa petite vie. Quand elle rompit enfin, c’était dans la Grande Salle. Elle voulait foutre une honte mémorable à Seth, histoire de lui montrer qu’elle n’était pas une petite ingénue naïve.
« Franchement, Hannah… C’était Wiessler quand même ! » Soupira une amie.
« Je m’en fiche. Je veux trouver quelqu’un qui tienne à moi et pas à mon cul ! » Coupa sèchement la nouvelle célibataire.
Et voici qu’elle prenait encore plus de chien, la Hannah.
Je suis écorchée vive, et rien n’atténuera ma souffrance. Elle est telle que les Enfers en rient, que les humains s’en apitoient et que moi, j’en pleure un peu plus chaque jour. Les mots ne sont que déraisons et oubli, je ne peux pas me confier, et je n’en ai pas envie. J’ai des tas d’amis, je suis populaire, je ne compte même pas le nombre de prétendants qui attendent derrière ma porte avec un peu d’amour ou un peu de désir à mon encontre. Quand maman est morte, c’est comme si le monde s’était souvent ligué contre moi. Elle n’avait rien fait de mal pour que les Anges la reprennent, si jeune. Je n’avais rien fait de mal, mon père non plus, alors pourquoi ? Ma tante m’avait assuré que c’était la vie, la fatalité, et que l’on n’y pouvait rien. En attendant, je suis poursuivie par tous ces démons, alors le seul remède est de ne rien laisser apparaître et de continuer sur le chemin de la vie. Le bateau, que j’avais dessiné à six ans – aujourd’hui, dix ans se sont écoulés – à ma mère, repose au fond d’un tiroir et je pense qu’elle ne prendra jamais le gouvernail pour me rendre visite. J’espère un jour croquer mon destin à pleine dent, cette pièce de théâtre dont je suis l’actrice et qui tourne à la tragédie, à la fatalité. Je me console avec mon reflet social, celui qui a une grande gueule, beaucoup d’ironie et de sarcasmes, celui qui me protège contre toute attaque. Je déteste être seule. Je déteste me retrouver face à la réalité. Je refuse de me battre, solitaire, j’aimerais être forte ce qui n’est pas le cas. J’en ai presque honte, de ne pas avoir le courage d’affronter ces horreurs s’échouant une à une sur moi. En fais-je un peu trop ? Sûrement. Il y en a à qui la chance ne sourit pas, depuis toujours, alors que je me plains de ma vie. Je baigne pourtant dans la richesse, mon père est adorable, ma belle-mère n’est pas ignoble (mais presque) et ma demi-sœur… je ne lui parle pas. Je l’ignore. Elle a compris le message, et le fait à son tour. Je n’ai jamais voulu avoir de frère ou de sœur, de toute façon. Nous n’aurions jamais été sur la même longueur d’ondes, je parie… La seule chose dont j’aurais besoin serait juste ce manque d’amour qui est enfoui au fond de moi. Juste un peu pour me redonner envie de vivre à cent à l’heure, souriante et joviale, tel que je le fus autrefois. Je préfère me cacher derrière mon « double cynique », qui lui s’occupe de me protéger. C’est tout.